1. Historique

En 1876, Munk parla de cécité de l'esprit, de cécité psychique afin de dénommer les déficits d'un chien ayant subit une ablation des aires visuelles associatives. Le chien n'était pas aveugle mais il ne présentait plus de réaction aux stimuli visuels.

En 1876, Jackson évoqua une "imperception" pour parler d'agnosie visuelle, Finkelburg (1879) d'asymbolie.

C'est en 1891 que Freud parla d'agnosie. Elle fut véritablement étudiée en tant qu'entité clinique spécifique à partir de 1970.

2. Diagnostic de l'agnosie visuelle

L'agnosie visuelle est un échec de l'identification visuelle de stimuli connus, qui ne peut être mis sur le compte de troubles sensoriels élémentaires.

2.1. Mise en évidence de déficits sensoriels élémentaires, périphériques

Les déficits sensoriels périphériques sont à exclure afin d'évoquer une agnosie visuelle. Ceci nécessite un examen ophtalmologique approfondi avec:

  • acuité visuelle
  • champ visuel
  • potentiels évoqués visuels
  • sensibilité au contact.

Dans le cabinet du neuropsychologue, peut être fait le test de détection de formes de la VOSP (Warrigton et James). Un score trop élevé à ce test (se référer aux normes) exclu un diagnostic d'agnosie visuelle.

2.2. Autres tests neuropsychologiques pour l'évaluation d'une agnosie visuelle

  • questionnaire à choix multiple à partir d'images
  • appariements fonctionnels: Pyramid and Palm trees test: présentation d'une image cible à apparier avec un item parmi deux choix.
  • appariement par l'identité: retrouver parmi trois images, les deux images représentant le même objet mais présenté sous différentes vues.
  • catégorisation sémantique d'images:

- objets: cuisine / bricolage / jardin

- animaux: sauvages / domestiques; poissons / oiseaux

- végétaux: fruits / légumes

Il faut cependant faire attention au choix des catégories: choisir des catégories où leurs différents représentants ne sont pas visuellement semblables (exemple des fleurs qui sont très ressemblantes visuellement).

3. Classification des agnosies

3.1. Classification de Lissauer (1890)

Lissauer distingue:

  • l'agnosie aperceptive due à un déficit du traitement perceptif. Il s'agit d'une impossibilité à construire une description perceptive correcte de l'objet présenté visuellement.
  • l'agnosie associative due à un déficit du registre mnésique. L'auteur décrit une impossibilité à associer une signification correcte à un percept visuel.

3.2. Classification de Humphreys et Riddoch (1987)

Humphreys et Riddoch distinguent au sein des agnosies aperceptives:

  • un déficit du traitement élémentaire de la forme
  • une agnosie intégrative
  • une agnosie de transformation

Au sein des agnosies associatives, ils décrivent:

  • la perte des représentations structurales stockées
  • l'agnosie d'accès sémantique
  • l'agnosie sémantique

4. Les agnosies aperceptives

4.1. Généralités

Les agnosies aperceptives sont consécutives à un trouble du traitement perceptif de l'information. Il s'agit d'un trouble de l'identification visuel accompagné de déficits dans les tests évaluant le traitement perceptif.

Les épreuves permettant d'évaluer l'efficience du traitement perceptif sont:

  • la description des objets perçus visuellement
  • la copie d'objets ou de dessins: il s'agit cependant d'un moyen indirect; d'autres troubles qu'une agnosie visuelle, voire l'âge, pourraient expliquer de mauvaises performances dans ce genre d'épreuve. De plus le temps nécessaire à la réalisation de cette épreuve est à pendre en compte.
  • les tests de discrimination visuelle (appariements, jugements même / différent...)

4.2. Agnosie de la forme

L'agnosie de la forme concerne un trouble de la détection des traits élémentaires, des primitives visuelles de l'objet.

4.2.1. Caractéristiques

  • touche tous les types de stimuli visuels
  • comportement "en aveugle": le patient palpe les objets alors que l'acuité visuelle est correcte
  • acuité visuelle préservée
  • identification tactile immédiate
  • dessin, description, comparaison de formes simples échoués

4.2.2. Evaluation neuropsychologique

Echec dans les taches de jugement même / différent portant sur des formes simples se différenciant au niveau des primitives visuelles.

jugement_forme.jpg

Tache de détection d'une cible (X) parmi un nombre variable de distracteurs (O). On mesure le temps de réaction.

d_t_ction_X.jpg

Quand les cibles diffèrent des distracteurs au niveau des primitives visuelles (ici rectiligne versus curviligne), la détection est normalement automatique; le temps de réaction n'augmente pas avec le nombre de distracteur.

Dans le cas d'une agnosie non sévère, la recherche de la cible va être sérielle; le temps de réaction va donc augmenter avec le nombre de distracteurs). Dans le cas d'une agnosie sévère, la détection de la cible sera impossible.

4.3. L'agnosie intégrative

L'agnosie intégrative se définit comme un déficit de l'intégration des éléments locaux et globaux de l'objet en une configuration structurée. Il s'agit d'une incapacité à aboutir à une représentation en 2D 1/2. Les processus ainsi que les tests exposés auparavant seront corrects.

4.3.1. Caractéristiques

  • lenteur d'identification des objets
  • effet de la complexité structurale: les difficultés d'identification seront d'autant plus importantes que l'objet a une structure complexe. Par exemple, une pomme sera plus vite identifier qu'un appareil photo, objet composé de différentes parties intégrées dans une forme globale.
  • dessin: copie "servile": le patient exécute le dessin de proche en proche, sans lever le crayon, avec des allés et retours fréquents sur le modèle. Le temps de réalisation est très allongé.
  • effet de la complexité structurale dans la copie de dessin: les dessins simples sont mieux réalisés que les complexes.

4.3.2. Evaluation neuropsychologique

Echec dans les taches de comparaisons de dessins complexes: test de Thurstone

Echec dans la tache de discrimination figure / fond: discrimination perceptive: test de Poppelreuter. Echec à la tache de détection de cible.

Echec à la tache de Navon (1977). Les items sont de grandes lettres constituées par de petites lettres. La tache du sujet est de déterminer quelle est la grande et la petite lettre. Deux conditions existent:

  • condition 1: sans conflit, les deux lettres appellent la même réponse

non_conflictuelle.jpg

  • condition 2: conflictuelle: les deux lettres appellent des réponses opposées:

conflictuelle.jpg

Chez les sujets normaux, on observe un effet de précédence globale: il y a une interférence de la grande lettre sur le traitement de la petite donc la grande lettre sera traitée plus rapidement que la petite en situation conflictuelle. Cet effet s'explique par le fait que la forme globale est traitée avant les éléments locaux

Dans l'agnosie intégrative, on observe différents patterns de résultats:

  • prédominance excessive du traitement global
  • inversion de l'effet de précédence globale: précédence locale: il existe alors un déséquilibre entre le traitement des éléments locaux et globaux empêchant leur intégration.
  • absence d'interférence entre les composants locaux et globaux (ce pattern n'a pas encore été observé à ce jour)

4.4. L'agnosie de transformation

L'agnosie de transformation se caractérise par un échec de la construction d'une représentation indépendante du point de vue de l'observateur.

4.4.1. Caractéristiques

Il s'agit d'une "pseudo agnosie" puisqu'il y a un échec d'identification de l'objet uniquement si celui-ci est présenté sous des angles de vue non canoniques (prototypiques). Cette agnosie n'a donc que peu d'effet dans la vie quotidienne.

L'existence de cette agnosie nous amène à redéfinir le cadre théorique de la reconnaissance visuelle des objets: l'étape de la description 3D serait optionnel; on peut passer directement d'une représentation 2D 1/2 à une représentation structurale stockée.

4.4.2. Evaluation neuropsychologique

Les tests réussis sont:

  • les tests de discrimination perceptive
  • les dessins

Echec au test d'appariement de vues différents du même objet car il nécessite la construction d'un modèle 3D.

4.5. Localisation lésionnelle

Les agnosies aperceptives sont provoquées par des lésions occipitales bilatérales ( aires associatives visuelles chargées de traitées l'information visuelle).

5. Les agnosies associatives

Les patients souffrant d'une agnosie associative présenteront une plainte différente de ceux présentant une agnosie aperceptive:

  • agnosie aperceptive: plainte de voir mal
  • agnosie associative: plainte d'un trouble mnésique

5.1. Agnosie par perte des représentations structurales stockées

5.1.1. Caractéristiques

  • normalité du traitement perceptif
  • trouble de l'imagerie
  • préservation des connaissances (autres que visuelles) sur les objets: le patient peut par exemple fournir les caractéristiques fonctionnelles de l'objet.

5.1.2. Evaluation neuropsychologique

Echec à la tache de complétion d'objet: elle nécessite de compléter un objet avec un élément manquant parmi un choix multiple. Cette tache ne nécessite pas d'identifier l'objet mais d'en avoir une RSS correcte et de pouvoir y accéder via le modèle 2D1/2 ou 3D.

Echec à la tâche de décision d'objet. Ici, il s'agit de dire si l'image représente un objet réel ou non. Même si on ne sait pas ce que représente l'objet, on peut tout de même réaliser correctement cette tache si on a stocké en mémoire ses caractéristiques. La tache de décision d'objet est plus directe que la tache de complétion d'objet qui fait appel à différents mécanismes dont celui des translations mentales.

Echec au test de dessin de mémoire. Le patient produit un dessin incohérent, qui ne présente aucun point commun avec l'objet réel. Le patient ne critique pas sa production car il ne peut pas la comparer avec une représentation mentale. Les résultats sont par contre corrects en copie de dessin, permettant ainsi d'éliminer la présence d'un trouble praxique.

La question qui se pose aujourd'hui et pour laquelle nous ne possédons pas encore de réponse est pourquoi lorsqu'on demande au patient de dessiner tel ou tel objet, il ne répond pas qu'il ne sait pas à quoi ressemble cet objet. Le patient présente une anosognosie de ses difficultés, similaire à ce qui se passe dans l'aphasie de Wernicke où plutôt le patient jargonne quand on lui demande de produire un mot plutôt que de dire qu'il ne sait pas.

5.2. L'agnosie asémantique (ou sémantique)

L'agnosie asémantique désigne un déficit d'identification des objets par perte des représentations sémantiques, et ce quelque soit la modalité sensorielle (visuelle, tactile, auditive...). Les concepts sont dégradés, perdus de façon définitive. Elle peut apparaitre dans diverses contextes tels que l'encéphalite herpétique, la maladie d'Alzheimer, la démence sémantique...).

5.2.1. Caractéristiques

  • normalité du traitement perceptif
  • agnosie multimodale
  • stabilité des réponses

5.2.2. Evaluation neuropsychologique

  • évaluation des connaissances sémantiques à partir d'images (appariement même / différent...)
  • évaluation des connaissances disponibles à partir de mots (appariement fonctionnel de mots, classement en sous catégories...)
  • identification de sons spécifiques
  • étude de la congruence entre modalités: il faut que le même item amène à des échecs quelque soit la modalité de présentation

5.2.3. Localisation lésionnelle

L'agnosie sémantique est due à une atrophie bitemporale (aires qui stockent l'information).

5.3. Agnosie d'accès sémantique

L'agnosie d'accès sémantique concerne une incapacité à reconnaitre des objets due à une interruption d'accès entre le stock sémantique et les RSS, tous deux étant par ailleurs intacts.

5.3.1. Caractéristiques

  • normalité du traitement perceptif
  • fluctuations des performances
  • en général, il s'agit d'un diagnostic posé par défaut

5.4. Localisation lésionnelle

Les agnosies associatives sont provoquées par la lésion bilatérale des jonctions occipito-temporale (dysconnexion).

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